A poil.
Comme rarement.
Je suis.
Merci pour l’indulgence.
Je commence à écrire, je ne sais pas exactement où je vais mais je suis car je tiens un bout de fil, en acier, chaud, ça brûle mais il me mène au coeur, au centre, au feu, à la force.
Je sais pas où je vais, je sais que ça va faire mal.
Mais pour une fois et c’est rare, c’est un mal nécessaire.
Extrait d’une converstion :
– « Oui, je le fais pas parce que c’est trop facile, bien sûr que je pourrais mettre des talons aiguilles, une mini-jupe et aller au super marché et bien sûr que j’aurais des regards sur moi, mais c’est trop facile. ».
– « Si c’était vraiment facile alors tu le ferais. »
et paf.
Quel est l’enjeu vous me direz, si on veut mettre des talons aiguilles, on en met et si on veut pas on en met pas, fin de l’histoire.
Si la vie était si simple, on le saurait. Le fait est que nous vivons dans des réalités multidimensionelles, dans du symbolique, dans des histoires qui se tissent, s’enlacent et lorsqu’on a de la chance nous dévoilent.
Alors, je me suis posée la question, qu’est-ce qui pouvait bien me gêner dans la facilité de cette attention.
La réponse ? Mon envie de vengeance.
Et c’est là que je suis à poil, et c’est là que je remercie pour l’indulgence.
Parce que moi et vengeance, j’aimerais que ça ne tienne pas dans la même phrase… pourtant…
Moi, comme tant d’autres humains de sexe féminin s’identifiant à ce genre, j’ai passé mon adolescence à recevoir des coups verbaux sur ma peau et à travers ma peau sur mon énergie, ma sensualité, ma sexualité.
De tous genres, comme cette réplique dite par Anita Ekberg dans la Dolce Vita où en montant des escaliers elle s’exclame « c’est bon pour perdre du poids », d’autres entendus à l’épicerie « son mari l’a trompée, oui mais t’as vu comme elle ne prenait plus soin d’elle », mais surtout, surtout, au quotidien, les mots dans la rue sur mon corps de 12, 13, 14, 15 ans. Corps même pas encore adulte. Mots et gestes, comme la main glissant sur ma fesse au passage, l’air de rien, comme accidentellement. Bien sûr, le jeune homme (homme?) en bande avec ses potes. T’as 14 ans, tu te retournes, tu fais quoi ? T’attaques ? T’insultes ? Toi et ton mètre cinquante et quelque pas encore abouti face à un groupe de 6 gaillards dont le cerveau n’est pas abouti non plus. Bref, la liste est longue, et il suffit de taper #metoo pour en trouver une sélection. Ça me rappelle un commentaire de ma sœur qui me racontait comment dans le métro, un homme avait glissé sa main sur sa cuisse à elle tout en camouflant son geste sous le journal qu’il faisait semblant de lire, l’air de rien.
Quel rapport avec les talons aiguilles ?
Le pouvoir. L’opportunité de rendre la pareille. D’en abuser de ce pouvoir.
Dans ma vie, il y a les hommes qui me font sentir comme une déesse, que je sois en pyjama ou en robe de soirée, ceux qui me connaissent dans mes forces et mes faiblesses. Avec eux je suis en paix, on se reconnaît, je salue leur force, ils saluent la mienne. Amen.
Mais ce petit cercle restreint loin du monde… est, je le crois, loin d’être représentatif de la majorité.
Il faut s’être mesuré à ses propres démons pour contenir sa force tout en étant son disciple, et occupé dans cette danse, laisser les autres à ce qu’ils sont sans rien leur vouloir, ni les amoindrir, ni les agrandir.
Alors ma crainte ?
Que ces regards soulevés à l’angle d’une cheville ne me rappellent là où j’ai bailloné ma force par soumission aux abus extérieurs. Et là, à la rencontre d’une violence attisée et contenue malgré et contre moi… détruire.
Oui parce que vous pensez bien, on ne le crie pas sur les toits, mais je crois qu’une grande partie des femmes, présentes sur terre, et donc dans cette lutte malgré elles, a quelques blessés à son acquis.
Comment est-ce qu’une femme détruit ?
De multiples façons. Un mot, souvent, suffit. Un mot vrai. Un mot qui touche là où l’être en face se refuse à voir sa propre peur, sa propre difficulté à agir dans sa puissance en respectant celle des autres.
Certaines s’enlisent dans des mises en scènes, des coups montés, des jeux de rôles étalés sur des années, de la privation partagée, du chantage, etc. quand tragiquement, elles ne passent pas à l’action.
Mais détruire quand on a été maltraité n’est pas, à mon avis, une réponse.
Cela dit, en moi, à part une âme aimante des mots, il y a une bête à qui si on donnait des talons aiguilles aujourd’hui, risquerait de s’en servir, en aiguiserait les pointes avec ses griffes et les jeterait comme des fléchètes aux tripes de ceux qui distraits seraient mis à découvert l’instant d’un regard.
Elle hurlerait au manque de justesse et de retenue d’un regard si facilement attisé. Et là, les crocs dans sa proie, déchirerait la chair jusqu’à briser l’os.
Mais ?
Est-ce que l’inconnu au rayon boulangerie qui en relevant son panier du sol, par mégarde, simplement supris par l’image du tissus frôlant la cuisse à découvert, est-ce que lui mériterait de payer pour les fantômes du passé ?
En attendant de transmuter mes envies de vengeance, je porte des basquettes, quatre couches de pulls, tout en contemplant quelques scénarios…
me demandant où y a-t-il dans cette société de la place pour la force féminine à l’état pur, non romantisée, non photoshopée…